Bandit, voyou, voleur, chenapan !...
J’ai 13 ans et c’est ainsi qu’on me nomme, moi, Louis Victor Godineau né à Bouzillé dans le
Maine et Loire (le 17 décembre 1872), en septembre 1886. J’ai grandi à Nantes, rue Richet. Louis Victor mon père et Félicité Esseuil ma
mère sont de bons parents, mais moi c’est autre chose, je suis bagarreur, j’ai
mauvais caractère et de mauvaises mœurs, mais je ne suis pas bête. C’est le
juge qui l’a dit !
La dernière fois, en septembre 1886, j’ai tapé un peu trop
fort, bing ! « Coupable de coups et blessures, agit sans
discernement », alors on m’a envoyé ici. Ici, dans le Poitou, à la Colonie
Pénitentiaire St Hilaire, loin de chez moi et je vais y rester jusqu’à mes
vingt ans. On va m’éduquer et comme je ne suis pas si bête, j’apprendrai le
métier de boulanger. Mes parents sont soulagés. On leur a donné le droit de
venir me voir. C’est le juge qui l’a
dit !
J’ai 13 ans, les sourcils chatains, le front haut, les yeux
bleu azur pale, le nez convexe, une petite bouche, un menton rond et un visage
allongé, le teint brun. Au-dessus du sourcil droit, j’ai une cicatrice de 2cm.
Je suis en bonne santé, juste un peu lymphatique. C’est le médecin qui l’a
dit !
A Saint Hilaire, depuis trois mois. Je commence l’année 1887
avec une mauvaise bronchite et une diarrhée chronique. On m’a envoyé à
l’infirmerie. Là-bas, ça castagne aussi,
hier je me suis pris un coup de sabot. D’accord,
je ne l’avais pas volé, mais qu’est-ce que j’ai mal au genou ! Mais je me
tais, je me méfie, la loi des sauvageons de St Hilaire, je commence à m’y
faire, mais les punitions des matons, ça non… C’est les colons qui vous le
disent !
Ça fait bien trois
mois que je hurle en silence à cause de ce fichu genou, mais ce matin, je n’ai
pas pu me lever et j’ai dû montrer ma
jambe, alors ils ont bricolé une attelle.
En juin, « Un épanchement considérable de synovie
remplit l’articulation dont tous les tissus sont tuméfiés et inflammés. Il
s’est déclaré à la partie interne de la jambe une vaste collection purulente.
Aujourd’hui l’enfant est atteint de tumeur blanche du genou, les condyles du
fémur ont presque doublé de volume, les ligaments de l’articulation du genou se
sont relachés et le tibia se luxe de plus en plus sous le fémur sans qu’il ait
été possible dans l’origine de s’opposer au développement des os par des
appareils contensifs par suite de la formation de la collection purulente. ».
Il faut que j’aille à l’hôpital. C’est le médecin qui l’a dit !
A l’Hotel Dieu depuis le 8 Juillet 1887, je coute 2 francs
08 la journée, l’état paiera mes soins. C’est le préfet qui l’a dit !
Mai 88, ça fait presque un an à l’hosto ! Je vais un
peu mieux même si la guérison est encore loin. Les notes de frais s’ajoutent. C’est le
directeur de l’hôtel dieu qui le dit.
Juillet Ça y est, c’est fait j’ai moins mal, enfin j’ai mal
autrement. Un an, ils ont mis un an à couper ma jambe !J’ai dérouillé, mais je suis vivant. Je
vais pouvoir sortir de l’hosto, c’est Luneau qui m’l’a dit !
Et on va me payer une jambe de bois, c’est le préfet qui l’a
dit !
Février 1889 : ça se passe jamais aussi vite que prévu,
j’ai fini l’année à l’hosto . Je vais me tenir à carreau. Je sortirai bientôt
de St Hilaire, le 16 décembre 1893, enfin c’est ce qui est prévu. C’est le
directeur qui l’a écrit !
Ce jour-là avec ma jambe de bois et ma tête de pioche, je
serai devenu l’roi de la brioche
et
ça
c’est moi qui vous l’dit !
L’enfant Godineau est-il sorti du bagne ? Rien ne le
confirme dans son dossier. La série 3Y59 des AD86 comprend une liste nominative des dossiers
d’enfants détenus à la Colonie pénitentiaire de St Hilaire au XIXème siècle.
Fondé en 1842, l’établissement devient autonome en 1860. De bagne en IPES, il
accueillit au fil des réformes, les enfants en éducation surveillée. Fermé en
1974, il fut transformé…
en golf en 1985.
Article paru le 11 septembre 2014
Merci Centre Presse pour l'enfant Godineau !